Marseille

Gaston Crémieux, la reconnaissance pour l’Histoire


Avocat et journaliste, défenseur des pauvres, franc-maçon, Gaston Crémieux est à l’image de bien des Marseillais : un homme aux différentes facettes et aux multiples engagements. 
Grand artisan de la Commune de Marseille, Gaston Crémieux a marqué de son sang non seulement l’histoire locale mais aussi nationale et républicaine. Homme engagé, pétri d’idéaux républicains, il est le seul communard fusillé le 30 novembre 1871 dans les jardins du Pharo, il y a un peu plus de 150 ans.
Retour sur le parcours de cet homme d'engagement, défenseur de la République et figure marquante de l'Histoire de Marseille.


Jeunesse et premiers engagements

Né le 22 juin 1836 à Nîmes au sein d’une famille juive de commerçants, Gaston Crémieux fait des études de droit, d’abord dans sa ville natale, puis à Paris. Il est de retour à Nîmes pour y exercer en 1857. Bouleversé par les conditions de vie des plus pauvres au sein de la classe ouvrière, il devient un farouche défenseur de ces oubliés. Parallèlement à son activité d’avocat, il s’essaie au journalisme qu’il marque de son empreinte via le journal littéraire qu’il a fondé avec des amis : "L’Avenir". 
Très vite, il dérange un pouvoir conservateur qui le fait surveiller par la police. Il quitte le barreau de Nîmes pour gagner Marseille où il ouvre un cabinet rue Venture en 1862.

À Marseille, Gaston Crémieux se rapproche des francs-maçons. Il développe par le biais de l'enseignement une réelle politique d'entraide et il s’implique dans la création d’écoles publiques destinées aux adultes, le soir et encourage la création d'associations d'ouvriers permettant de distribuer quelques subsides en cas de chômage, d'engranger un capital servant à l'aide juridique et en rédige les statuts.

 

Lutte sociale et journalisme

Bien que surveillées et censurées, les nouvelles conditions de parution de la presse sous le Second Empire provoquent une éclosion de journaux. Parmi eux, un bon nombre de feuilles républicaines dont "Le Peuple", dirigé par Gustave Naquet… Gaston Crémieux y publie ses poèmes.
Ces journaux contribuent largement à la propagation des idées nouvelles, dont il est le défenseur : lutte sociale et refus d’une monarchie constitutionnelle.

 

Première Commune

À Marseille, une première insurrection est menée le 7 août 1870, avec, à sa tête, Gaston Crémieux, Émile Bouchet, Maurice Rouvier et Gustave Naquet, prenant d'assaut la Préfecture.

Ce premier mouvement est sévèrement réprimé par des troupes fidèles à Paris. Une fois arrêtés, les "factieux" dont Gaston Crémieux sont emprisonnés dans un cachot du fort Saint-Jean. Ils seront relâché le 4 septembre, après la défaite de Sedan et l’abdication de l'empereur Napoléon III.

La République est proclamée et le nouveau chef du gouvernement nomme Alphonse Esquiros administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône, Adolphe Carcassonne est nommé président de cette première commune, le drapeau tricolore est hissé sur la mairie.

Marseille est devenue un bastion républicain. Ses insurrections et la défense de la République sont une source d’inspiration pour les Républicaines parisiens.

Mais entre octobre 1870 et mars 1871, l’instabilité politique règne à Marseille.

Tout bascule définitivement lorsque Adolphe Thiers, alors chef du gouvernement provisoire depuis le 17 février, conclut avec Bismarck le traité préliminaire de paix le 26 février, ratifié par l'Assemblée le 1er mars.


 

D’une Commune à l’autre 

Le 18 mars 1871, l'insurrection de la Commune parisienne débute. Le 22 mars 1871, la nouvelle arrive à Marseille.  Le jour même, Gaston Crémieux prend la tête de la seconde Commune de Marseille avec le journaliste Clovis Hugues et les futurs députés Émile Bouchet et Maurice Rouvier. 

Gaston Crémieux clame son soutien à la Commune de Paris et affirme du même élan, la volonté d’une politique régionale indépendante de la capitale.

Dans la soirée du 23 mars, le nouveau préfet l'amiral Paul Cosnier et le général Espivent ordonnent à la Garde nationale de se rassembler le lendemain en faveur de Versailles, le maire Jacques-Thomas Bory tente de les en dissuader ; leur appel reste sans effet.

Le défilé des gardes nationaux, sur le cours Belsunce, dégénère en manifestation où la population marche côte à côte avec ces derniers. La foule prend la préfecture d'assaut ; Crémieux marche avec, à ses côtés, le jeune Clovis Hugues. Commencée ce 23 mars, la Commune de Marseille dura jusqu'au 4 avril. C’est la plus longue expérience de la Commune en dehors de Paris.

Le Préfet est fait prisonnier, le maire démissionne et Espivent est en fuite.

Une  commission départementale hétéroclite prend la place du préfet.

Gaston Crémieux déclare la solidarité de Marseille avec Paris et appelle la population à maintenir l'ordre.

Le 27 mars 1871, arrivent quatre délégués parisiens : Landeck, Amouroux, Albert May dit Séligman, et Méguy. Landeck se met à la tête de la Commission traitant tous les modérés en suspects.

Les divisions des Communards profitent aux forces conservatrices. Le 28 mars, le général Espivent de la Villeboisnet, chef des troupes militaires du département, proclame - sans aucune base légale - les Bouches-du-Rhône en état de guerre et se déclare partisan du gouvernement d'Adolphe Thiers.

 

 

Répression et bain de sang

Le 3 avril 1871, le général Espivent fait marcher 6 000 à 7 000 hommes contre Marseille. La lutte s'engage le lendemain. La gare résiste, mais les hommes d’Espivent parviennent jusqu'aux barricades de la rue Saint-Ferréol, visant la préfecture où sont retranchés les communards.

Crémieux tente de négocier. Espivent fait finalement bombarder la cité depuis la colline de Notre-Dame de la Garde. La préfecture tombe après dix heures de combats acharnés. Landeck s'est enfui à Paris, Bastellica est parti en Espagne, Royannez, Clovis Hugues, tous les principaux révolutionnaires de la Commune ont réussi à se faufiler loin des combats. 
Les troupes d'Espivent subissent en tout 30 morts et 50 blessés, les insurgés comptent 150 morts environ et plus de 500 prisonniers. 

Gaston Crémieux refuse de s'enfuir. Il est arrêté le 8 avril 1871. Son procès commence le 12 juin devant le premier conseil de guerre avec celui des autres Marseillais, dirigeants locaux, le plus souvent modérés, Bouchet, Ducoin, Breton, Pélissier, Duclos, Novi, Nastorg, Hermet… Nombre d'entre eux seront acquittés. 
Mais l'accusation veut un exemple : le 28 juin, les débats sont clos dans un procès militaire. Crémieux est le seul condamné à mort. La Cour de cassation confirme les jugements en appel, le 15 septembre 1871.
 

 

Une mort républicaine

Le 29 novembre, Crémieux est transféré au fort Saint-Nicolas. Il remet son manuscrit des mémoires de la prison au rabbin Israël Vidal et écrit une dernière lettre à sa femme et à son fils aîné, Albert, lui recommandant de veiller sur son frère et sa sœur.

ll est fusillé à 7 heures du matin, le 30 novembre 1871 au champ de tir du Pharo. Refusant qu'on lui bande les yeux, il commande aux soldats sa propre fusillade et les prie, par respect pour ses parents, de ne pas le viser au visage. Ses derniers mots sont : « Visez à la poitrine. Ne frappez pas la tête. Feu ! Vive la République... »

La nouvelle connue de son exécution, des milliers de Marseillais, se pressent devant sa maison, au 4, rue de Rome. Le 13 décembre, les loges des "Amis choisis"  et de "La Parfaite Union" font part de leur douleur devant l'exécution de leur ancien vénérable. Le 17 décembre, un défilé organisé par les frères May et Levraut réfugiés aux États-Unis, rend un premier hommage à New-York aux fusillés de Paris et de Marseille, dont Ferré et Crémieux.
 


Mémoire et transmission

Très vite, les hommages se multiplient célébrant l’homme et son engagement. Sa mort est ressentie comme une véritable honte et une tache ineffaçable dans l’histoire républicaine. Il est malgré tout attaqué régulièrement par des écrivains, journalistes ou essayistes antisémites.

Un premier hommage officiel et tardif lui est rendu en 1923 par le Parti communiste. Un boulevard de Marseille porte son nom : il sera débaptisé par le régime de Vichy en 1941. Il faut attendre 1944 et la défaite de ce régime pour que le boulevard retrouve son nom. Le petit-fils de Gaston Crémieux, est mort en déportation…